Le renfort cinétique ou Kinetic Wedge (KW) est un élément orthopédique que nous utilisons de plus en plus fréquemment pour les orthèses de nos patients.
Cependant, il est très important que nous comprenions les implications biomécaniques de son placement, pour pouvoir ainsi le concevoir correctement et connaître dans quels cas, ce dernier, doit être programmer.
Qu’est-ce que le renfort cinétique ?
La KW es une pièce orthopédique, décrite pour la première fois par le Pédiatre Howard Dananberg, en 1988 (1).
À ce moment-là, elle était perçue comme faisant partie du traitement orthopédique de l’Hallux Limitus Fonctionnel et des différentes altérations biomécaniques dérivées de ce dernier (2).
Dans son design original, la pièce consiste en la combinaison de deux matériaux de confection de semelle avec deux densités différentes sous les têtes métatarsiennes : une expansion de 2º à 5º métatarsiennes réalisés avec un EVA de densité moyenne (40º-45º Shore A) combiné avec un matériau de positionnement (Poron) dans la zone plantaire à la tête du premier métatarsien et de la phalange proximale de l’Hallux.
De nos jours, nous avons différentes manières de réaliser le design d’un renfort cinétique. L’une des techniques la plus utilisées est celle que nous voyons sur les images suivantes :
Cette variante de conception consiste à placer un matériau de shore moyen, généralement un EVA de 40-45º Shore, d’une épaisseur de 2 à 4 mm, sous la région plantaire de tout l’avant-pied (entre la doublure et la coque de notre orthèse) à l’exception de la tête du 1er métatarsien, et de la zone rétro capitale de celui-ci. Elle est très similaire à la fenestration de la 1ère tête métatarsienne (3).
Il est important de bien biseauter les bords distaux et proximaux de la pièce, comme nous pouvons le voir sur les images, afin de ne pas générer de problèmes de compression tant des orteils avec la chaussure, que du bord proximal de la pièce avec la surface plantaire du pied de notre patient.
Afin de choisir correctement les patients éligibles à l’utilisation d’un renfort cinétique pour leurs orthèses plantaires, il est essentiel de connaître le fonctionnement pathomécanique du 1er rayon (complexe anatomo-fonctionnel, formé par le 1er renfort et le 1er métatarsien).
Pathomécanique du 1er Rayon
En 1935, le Doctor Merton L. Root, fût le premier à décrire la relation entre l’hyper mobilité du premier rayon et sa relation avec le développement de pathologies sur le pied et l’extrémité inferieure. Dans cette publication, il explique comment une condition d’hyper mobilité du premier rayon en condition de charge, suppose le déplacement de la flexion dorsale de ce dernier, ainsi que l’augmentation de la tension sur le fascia plantaire et d’une mécanique de pronation.
Cependant, quelque temps plus tard le Doctor Kevin A. Kirby a introduit un concept encore plus intéressant, qui nous permet de comprendre de manière plus précise le fonctionnement pathomécanique du premier rayon: “l’instabilité”.
Il s’est référé à la force que devait support la tête du premier métatarsien pour se déplacer d’une quantité déterminée de millimètres. Ce qui signifie, dans notre cas, que nous devons donner beaucoup plus d’importance à la rigidité de la flexion dorsale du premier métatarsien, plutôt qu’à ses millimètres de déplacement de flexion dorsale. (6).
De cette manière, un patient avec un premier rayon qui se déplace en flexion dorsale de “X” millimètres par rapport à l’application d’une force très basse, présentera une meilleure instabilité et développera avec plus de probabilités une pathologie mais au prix d’une meilleure quantité de force dorsiflexor.
Nous devons comprendre, que le 1er rayon sera plus instable, quand la magnitude des forces réactives des appuis de la semelle dans les situations de charge sera plus élevée.
Les conditions les plus fréquentes qui provoquent l’instabilité du 1er rayon sont : la pronation de l’articulation sous-talienne et/ou la rétraction de l’aponévrose musculaire du complexe gastro-soleux (mollet, soléaire ou les deux) avec une pronation compensatoire du médio-tarse (7, 8).
Cette situation d’augmentation des forces réactives du sol sous la tête du premier métatarsien, maintenu dans le temps, va provoquer une déformation plastique du complexe capsulaire et ligamenteux, qui permet la stabilité du 1er rayon, à mesure qu’il s’approche de sa limite de déformation plastique (9).
Cette situation d’instabilité du premier rayon, va être extrêmement liée avec la correcte instauration du Mécanisme de Windlass (10)
De manière à ce que le premier rayon instable, soit l’un des éléments qui va faire que le mécanisme de Windlass s’instaurera plus tard au prix d’un coût énergétique plus élevé et d’une plus grande contrainte de traction de toutes ces structures du supinateur, du rotateur externe et de l’accélérateur (8). Durant la phase de soutien medium ou de soutien complet, où les patients qui présentent une instabilité du premier rayon, succèdent à un meilleur mouvement de flexion dorsale du complexe M1-C1.
Ce déplacement en flexion dorsal, augmentera l’élongation du fascia plantaire et du collapse de l’articulation mediotarsienne. La collision entre la tête métatarsienne et la base de la phalange proximale sera plus importante (hallux limitus fonctionnel) et la pronation rétrograde de l’articulation sous-talienne sera également de plus grande ampleur (11).
Ainsi, ces patients passent plus de temps dans la phase de posture moyenne. Les structures chargées de décélérer le moment pronateur et de générer un moment plantarflexor sur l’articulation de la cheville et extenseur sur la hanche, vont supporter une contrainte de traction plus importante et pendant une période plus longue (12).
Nous retrouvons cette situation d’instabilité du premier rayon chez un grand nombre de patients en consultation, notamment chez ceux présentant une pronation de l’articulation sous-talienne et/ou une rétraction du complexe gastro-soleux (7,8).
Il est donc essentiel qu’en tant que podologues, l’un de nos objectifs thérapeutiques dans ces situations soit de stabiliser le 1er rayon et d’améliorer la mise en place du mécanisme de Windlass.
Eugeni Llorca
Effet Biomécanique du Renfort Cinétique
L’effet de la contrainte cinétique est très similaire à celui de la fenestration de la tête du premier métatarsien, d’une contrainte de pronation de l’avant-pied (extension valgus de l’avant-pied) ou d’une expansion de 2° à 5°.
Toutes ces parties se caractérisent par la réduction de l’ampleur des forces réactives du sol que la tête métatarsienne (M1) supporte pendant la phase d’appui, les 2e et 3e bascules de la marche, ainsi que pendant la quasi-totalité du cycle de course humain.
Ainsi, si l’excursion du 1er rayon en flexion dorsale est moindre, l’aponévrose plantaire sera moins déformée et le patient pourra effectuer le mécanisme de Windlass plus tôt, tout en sollicitant moins les structures supinatrices principales de l’articulation sous-talienne et les structures plantarflexives de l’articulation de la cheville (1, 8, 12-15).
La principale différence est que la force cinétique sous forme de fenestration du M1 génère également un mouvement dorsiflexor sur la phalange proximale de l’hallux, ce qui pourrait être plus indiqué chez les patients présentant une instabilité marquée du premier rayon ou pour réduire la pression de manière sélective sous la région sésamoïde (1, 8, 13, 14).
Indications du Renfort Cinétique
Comme nous l’avons déjà indiqué, le principal effet du renfort cinétique est de réduire la magnitude des forces réactives du sol sous la région plantaire de la tête du M1. (1, 8, 12-15)
Cependant, nous pouvons bénéficier de cette condition dans différentes situations cliniques, cela dépend des objectifs qui ont été planifié concrètement avec les patients.
Ses principales indications sont :
- Réduire la pression sélective sous la tête du M1 ou sésamoïde.
- Diminuer le moment de force médiale à l’axe sous-talien, qui surgira sur les patients avec les pes cavus, axe sous-talien latéralisé et varus calcanéen.
- Dans les situations où le patient présente un 1er rayon instable et où nous sommes intéressés à réduire son déplacement en flexion dorsale, en améliorant l’établissement du mécanisme de Windlass. Par exemple : fasciopathies plantaires de traction associées à une pronation médio-tarsienne et/ou sous-talienne, pied plat infantile souple, tendinopathies d’Achille, surcharge du ventre du muscle du mollet-soleus-ischiotibial, limitation de la flexion dorsale de la 1ère articulation métacarpo-phalangienne, etc.
Contre-indications
Bien que dans la bibliographie scientifique consultée il n’y avait aucune contre-indications à l’application de renfort cinétique, selon l’auteur de cet article il existe quelques situations dans lesquels nos patients ne vont pas bénéficier de cette modification d’orthèses.
Elle peut être particulièrement utile chez les patients qui présentent un avant-pied en valgus au déchargement, ou une plantiflexion du M1 (image de gauche) car ici nous limitons le déplacement du 1er rayon en flexion dorsale, en maintenant la stabilité de l’articulation médio-tarsienne.
Dans les cas où l’avant-pied est neutre ou parallèle au plan de l’arrière-pied non chargé (nous pouvons évaluer cela avec la manœuvre Root), le renfort pourrait être largement suggéré (si nos objectifs thérapeutiques incluent la stabilisation du 1er rayon).
Cependant, ce renfort peut s’avérer déconseillée chez les patients présentant un état de dorsiflexion radiale 1 non réductible : soit un metatarsus primus elevatus, soit un avant-pied supinateur non réductible (image de droite).
Dans ces situations, la réduction des forces réactives du sol sous la tête du M1 ne se traduirait pas par une stabilisation de la tête du M1, mais par un mouvement de pronation de l’articulation sous-talienne jusqu’à ce que la région plantaire de la tête du M1 revienne en contact avec le sol.
Cependant, ces contre-indications se basent uniquement sur l’expérience clinique de l’auteur de cet article. Par conséquent, il serait nécessaire de voir apparaître de nouvelles publications qui nous permettraient de connaitre les contre-indications des renforts cinétiques en se basant sur la littérature et sur des preuves scientifiques.
Bibliographie
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